Une journée dans la vie de Justine

Montréal, un été à la fin des années ’70…

Justine a 5 ans à peine. Justine est une petite fille pleine de vie avec son rire, ses blagues, son petit caractère et sa sensibilité.

Justine seule dans une grande maison avec des chats. Beaucoup de chats. C’est l’été, il fait chaud. Il fait si chaud en ce mois d’août que les chats ont des puces. Tellement de puces en fait que même Justine se fait piquer. Pas beaucoup mais ça lui gratte autour des mollets et des coudes.

C’est l’heure du dîner. Justine a faim. Elle aimerait manger mais elle ne sait pas quoi. Elle ne sait pas quoi parce que toute la nourriture qu’elle a sortie est sur la table de la cuisine et elle n’y trouve rien de comestible. Soit parce que c’est en train de moisir ou parce qu’il y a des tâches noires dans les pots. Les puces, portées par les chats, sont tombés dans la nourriture. Et Justine sait qu’elle ne veut pas manger de puces.

Hier, elle a mangé un tube de crémage à gâteau. Elle l’a trouvé au fond de la dépense. Il était rose et c’était sucré. Sauf que là, il est vide.

Son papa d’amour n’est pas là. Il n’est pas là souvent dernièrement. Il travaille beaucoup sur les « zoulimpic » et il part très tôt le matin et reviens très tard le soir. Les autres enfants de la ruelle ne viennent jamais chez elle. Leurs parents n’aiment pas ça.

La maman de Justine est là. Enfin presque. Elle est couchée sur son lit presque toute la journée avec une grosse cruche dont elle boit constamment. Quand la cruche est vide, elle fait un téléphone et un monsieur en amène une autre. Des fois, elle se lève et marche un peu tout croche jusqu’au four et mets un « TV Dinner » en alu dedans. Elle montre à Justine l’horloge et lui dit : « Quand la grande aiguille est là, tu mets les mitaines, tu sors le « TV Dinner » du four et tu tournes la poignée ici jusque-là pour arrêter le four ». Elle repart dans la chambre pour continuer à boire.

Des fois, elle appelle Justine dans sa chambre et quand Justine y va, elle lui parle de plein de choses que Justine ne comprends pas. De son papa, des hommes, de sa mère, de son amour, de sa peine. Mais Justine est trop petite pour comprendre tout et elle voudrait juste aller jouer.

Mais il n’y a personne et sa maman ne peut pas jouer avec elle comme avant. Comme la fois où elle a découpé des « Big Birds » et des « Cookies Monsters » pour lui apprendre à compter. Depuis longtemps maintenant, sa maman ne joue plus. Elle boit sa cruche, pleure, fume et dort.

Avant que maman ne soit plus capable de sortir, elle sortait avec Justine des fois. Mais ce n’était pas très amusant. Elles allaient chez un « monsieur » et on l’assoyait devant la télé. Ça, ça lui plaisait car la télé chez elle ne fonctionne plus depuis un moment. Des fois, elle voyait que sa maman allait dans la chambre du monsieur et qu’elle était toute nue avec lui. Justine n’aime pas ça. Ça la mets très inconfortable. Elle ne sait pas pourquoi mais elle n’aime pas ça bon.

Justine aimerait bien aller à la garderie. Mais son papa part trop vite le matin, il l’oublie à la maison. Il lui a dit qu’il est trop tôt, que la garderie n’est pas ouverte.

Alors, Justine a faim, elle est seule et elle s’ennuie. Si elle veut sortir pour aller jouer dans la cour, elle doit passer très bas car sinon sa maman va la voir dans le miroir de sa chambre et l’appeler pour lui parler.

Elle se demande quand les choses vont changer… Elle ne sait pas que, bientôt, elles vont changer mais pas pour le mieux…

C’est maintenant l’après-midi et il fait tellement chaud. Tout colle à la peau de Justine : les poils de chats, la saleté, la sueur, ses vêtements. Elle a envie d’air frais et décide de passer à quatre pattes dans le corridor pour que sa maman ne l’appelle pas. Elle se rend jusqu’à la porte et sort dans la cour arrière. Elle continue jusqu’à la porte en bois de la cour et passe dans la ruelle. D’autres enfants y jouent, elle se joint à eux. Pour quelques heures, elle se sent moins seule.

Elle entend les cloches de l’église et sait qu’il faut rentrer à la maison. Elle y retourne discrètement mais en entrant dans la maison, elle a le sentiment que quelque chose n’est pas normal. Elle marche jusqu’à la chambre de sa maman. Elle est toujours couchée sauf que ce n’est pas comme d’habitude. Justine s’approche et voit qu’elle est toute pâle. Justine lui touche mais elle ne réagit pas. Elle ne sait pas pourquoi mais elle sait qu’il y a un problème. Elle a besoin d’un adulte pour l’aider. Que faire?

Elle décide de monter au troisième étage car elle entend la musique du locataire. C’est une grande personne, il saura quoi faire. Elle cogne, il arrive à la porte. Elle le regarde et lui dit : « Ma maman ne bouge plus. ». Il sort dehors rapidement et l’accompagne au travers du hangar pour redescendre chez elle.

Il entre dans la maison et cherche la maman de Justine. Lorsqu’il la trouve, il lui parle, lui touche l’épaule mais elle ne réagit pas. Il prend le téléphone et parle à quelqu’un : « C’est une femme dans la trentaine, elle ne réagit pas, c’est urgent! ».

Justine ne comprend pas très bien ce qui se passe. Elle voit tout se dérouler comme si elle regardait la télévision. Des policiers arrive, une autre locataire, des monsieurs en blanc et gris qui mettent sa maman sur un lit roulant et l’attachent. Celle-ci se débat mollement et crie mais Justine ne comprends pas les mots. Elle a peur, elle ne comprends pas ce qui arrive et personne ne lui dit rien. Elle suit les monsieurs et sa maman jusqu’au balcon avant. Ils mettent le lit roulant dans une ambulance et ferment les portes. Justine veut les suivre mais la locataire la retient et la prends dans ses bras.

L’ambulance part et Justine reste avec la locataire, qui est la cousine de son papa d’ailleurs. Celle-ci lui donne à manger et prends soin d’elle mais la petite fille aimerait tellement comprendre ce qui arrive.

Ça fait maintenant un bon moment que le soleil est couché. Justine est réveillée par la voix de son papa. Il parle avec sa cousine, prends Justine dans ses bras et la ramène, en bas, à la maison. Il la couche dans son lit à elle. Il parle peu mais doucement. Cette nuit-là, il dort dans le salon.

Justine revoit sa journée, se demande ce qui est arrivé à sa maman et si elle reviendra bientôt. C’est vraiment compliqué de comprendre les grandes personnes, c’est plus facile de comprendre les chats. Justine serre son Minou Gris dans ses bras et se rendort enfin vers une autre journée.

Advertisement
This entry was posted in Nouvelles / Short Stories. Bookmark the permalink.

Leave a Reply

Fill in your details below or click an icon to log in:

WordPress.com Logo

You are commenting using your WordPress.com account. Log Out /  Change )

Facebook photo

You are commenting using your Facebook account. Log Out /  Change )

Connecting to %s